Quartiers japonais en lutte

Rétrospective Cinéma japonais, présenté par Dimitri Ianni

Diffusion de Yama – Coup pour coup et de The Kamagasaki Cauldron War / Qui a volé le chaudron ?

Derrière la façade harmonieuse du miracle économique qui fit du Japon d’après-guerre la deuxième économie mondiale se dissimule l’envers du décor : celui des « yoseba », ces ghettos regroupant la main-d’œuvre journalière sur le dos de laquelle s’est forgée la prospérité du pays. Exclus de la modernisation, l’histoire de ces quartiers est ponctuée par des émeutes qui témoignent des tensions au cœur du capitalisme japonais et font de ces espaces un symbole des luttes sociales autant que des lieux d’autonomie et de solidarité.

C’est dans le quartier de San’ya à Tokyo que Yama – Coup pour coup prend sa source. Documentaire mythique qui décrit la lutte des ouvriers journaliers au début des années 1980, le film vaut à son réalisateur Satô Mitsuo d’être assassiné le 22 décembre 1984 par un membre du groupe yakuza qui y contrôle le marché de l’emploi. Yamaoka Kyôichi, membre de la Sôgidan, le syndicat des ouvriers journaliers de San’ya, prend sa suite et achève le film. En représailles, il sera également assassiné le 13 janvier 1986. Si le film s’inscrit dans le courant du documentaire militant, dont Shinsuke Ogawa avait posé un jalon avec l’émouvant Dokkoi ! Le Chant humain – Kotobuki : Le Quartier des ouvriers libérés, fruit d’une immersion dans le quotidien de journaliers, il en dépasse la représentation misérabiliste pour se déployer dans l’espace et le temps à la recherche des causes profondes de l’exploitation de ce sous-prolétariat. Par ses allers-retours incessants entre passé et présent, le film remonte aux origines de la colonisation telle une anamnèse géante qui culmine dans la dernière partie du film située à Kyûshû, mère nourricière du pays avec son industrie minière et ses aciéries géantes. Pensé et réalisé comme une arme de lutte et un outil de conscientisation au service des journaliers, le film est une radioscopie brutale et sans concession d’un capitalisme japonais prisonnier de ses racines colonialistes, de la pègre et de son idéologie impérialiste.

Avec The Kamagasaki Cauldron War / Qui a volé le chaudron ?, tourné plus de trente ans après, le cinéaste Leo Satô dirige sa caméra du côté de Kamagasaki, le plus grand yoseba du Japon où Ôshima Nagisa réalisa jadis L’Enterrement du soleil (1960). Tourné en 16 mm avec des habitants du quartier, le film opère à la lisière entre documentaire et fiction. Derrière la comédie carnavalesque que cette guerre du chaudron met en scène, Satô observe les transformations du quartier, de l’installation des caméras de surveillance à la suppression des étals de rue, en passant par l’expulsion des sans-abri. Kamagasaki se trouve sur le point de disparaître, victime de la désindustrialisation progressive du pays, de la gentrification et des politiques d’urbanisation néolibérales. Célébration nostalgique de la vitalité et de l’esprit de résistance du peuple de Kamagasaki, le film propose un condensé des transformations et des luttes qui ont façonné le quartier depuis les années 1970 tout en digérant l’histoire du cinéma – Le Pot d’un million de ryô de Yamanaka Sadao sert ainsi de canevas au récit des protagonistes. Entre Yama – Coup pour coup et The Kamagasaki Cauldron War s’esquisse une histoire sociale de ces quartiers en lutte dont la matière documentaire constitue des traces vivantes.

Dimitri Ianni, critique spécialiste du cinéma japonais contemporain et programmateur du festival Kinotayo

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Séances

  • Cinéma L'Ecran| vendredi 4 février 2022 - 18H30 | VO

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    'Yama - Coup pour coup', de Satô Mitsuo Yamaoka Kyôichi

  • Cinéma L'Ecran| dimanche 6 février 2022 - 14H00 | VO

    Réserver

    'The Kamagasaki Cauldron War', de Leo Satô